Nos amis d'Hollywood ont refait Massacre à la Tronçonneuse, Halloween, La Colline a des Yeux et Zombie, ils refont Vendredi 13 et RoboCop, ils ont déterré Rocky, Rambo, Terminator, Indiana Jones, John McClane ou les Morts-Vivants de Romero 10 à 20 ans après leur retraite pour ajouter des épisodes inutiles à leurs sagas respectives... C'est vous dire s'il n'y a vraiment rien de sacré pour ces gens-là.
Fort de cette constatation, on peut penser sans trop se tromper qu'on verra refaire surface, dans les années qui viennent, l'un des plus célèbres films de Steven Spielberg après Always, sous la forme d'une suite (l'arrière-arrière-arrière-petit-fils du requin original pourchasse la petite-fille de Hooper jouée par Jessica Biel et le petit-fils de Brody joué par Shia LeBeouf), une prequel (un jeune Hooper joué par Josh Hartnett chasse un grand requin blanc qui n'est autre que le père de celui du film de 1975) ou un remake (le film de Spielberg manquait évidemment d'effets spéciaux en images de synthèse à la fois top-niveau et complètement factices et pas crédibles, recommençons à zéro sous la caméra d'un ex-réalisateur de clips) des Dents de la Mer. En attendant ce jour béni pour les néo-cinéphiles, ces pauvres jeunes sans repères pour lesquels il n'existe pas vraiment de bon ou mauvais film de genre, pour qui "bah tant qu'tu regardes ça en te débranchant le cerveau, ça va quoi, y a des bonnes explosions et tout", ces gens grâce auxquels le cinéma d'action est mort, en attendant ce jour donc où ces cons se précipiteront pour télécharger ce qui s'intitulera vraisemblablement JAW5, Les Dents de la Mer : ReGeneration ou Les Dents de la Mer Balboa (je réutilise mes vieux gags si je veux), le monde du jeu vidéo a déjà eu droit en 2006 au retour du célèbre carcharodon carcharias avec Jaws Unleashed (simplement intitulé Les Dents de la Mer chez nous) sur PC, Xbox et PS2.
C'est la version PC qui nous intéresse aujourd'hui parce que bon, quoi, merde, ici on est des vrais hardcore gamers de la ouf nous, on joue pas aux consoles grand public. Et autant en général je ne suis pas trop pour l'exhumation de vieux films à des fins d'adaptation douteuse, autant cette nouvelle version des Dents de la Mer (la 3ème, si j'en crois Mobygames) offrait, sur le papier, un petit quelque chose d'alléchant, puisqu'on y contrôle le terrible requin mangeur d'hommes et non les chasseurs tentant de s'en débarrasser. Et ça, il faut avouer que ce n'est pas courant. De quoi me donner envie de lâcher les 4 € nécessaires à son acquisition.
Aileron pointu en vue, ça va de nouveau saigner le long des côtes d'Amity.
Sorte de GTA III aquatique, le jeu vous propose donc de vous balader librement dans des environnements assez vastes pour y semer la terreur, la destruction et la mort. L'action se situe toujours à Amity, 30 ans après le 1er film, alors que le nouveau maire veut refaire de sa ville un haut lieu du tourisme balnéaire, notamment grâce à l'ouverture d'un parc d'attractions marin à faire pâlir d'envie les émirs dont les concours de bites font la fortune des entreprises de construction de Dubai depuis quelques années, et vas-y que je vais ériger la plus haute tour du monde, m'en fous moi j'ai le plus grand centre commercial du monde, eh ben puisque c'est comme ça moi je vais faire le plus grand archipel artificiel du monde, etc, etc, gros cons d'émirs à p'tite bite tiens. Bref, Amity est prête à se remettre des événements qui ont fait fuir les baigneurs pendant des décennies, mais évidemment, il y a toujours dans les environs un Grand Requin Blanc particulièrement gigantesque qui ne l'entend pas de cette ouïe et va tout faire pour éviter que ses amis les dauphins et les otaries ne finissent dans un marineland, à faire des tours pour amuser les enfants, au lieu de de venir s'abriter dans son estomac toujours accueillant.
Si vous non plus vous n'avez pas tellement aimé Le Monde de Némo,
vengez-vous en mangeant un banc de Frank Dubosc.
Bon, la logique du requin est un peu foireuse parce que moins de touristes sur l'île, c'est du coup moins de repas à base de chair humaine pour lui, mais on ne va quand même pas demander aux développeurs de nous pondre des scénars réalistes, surtout pour un jeu dont le héros est un poisson carnivore géant doué de raison, à l'instar du monstre du 4ème film, puisque notre bestiau a des motivations qui dépassent son simple instinct de prédateur, et des aptitudes qui laisseront pantois plus d'un océanologue (ou d'un simple joueur un peu tatillon sur le réalisme), comme la faculté d'activer une serrure électronique en passant le cadavre d'un scientifique muni d'une carte d'accès devant le lecteur de cartes, ou celle d'attraper des barils explosifs dans sa gueule pour les lancer sur une installation qu'il souhaite détruire.
Entre deux missions de la quête principale, les scènes intermédiaires
réalisées avec le moteur du jeu ne lésinent pas sur les explosions
pour vous faire comprendre qu'un requin en colère, ça ne rigole pas.
Concrètement, le jeu consiste principalement à explorer l'océan autour de l'île en bouffant tout ce que vous rencontrez et en démolissant un maximum d'installations. Ce faisant, vous remplissez divers objectifs principaux et secondaires, qui vous permettent de faire progresser l'intrigue, d'aller visiter de nouvelles zones et d'accumuler des points d'expérience pour améliorer les compétences du requin et débloquer des coups spéciaux. Bref comme je le disais plus haut, ça fonctionne comme un GTA, mais avec du poiscaille à la place des bagnoles, et de la flotte à la place des rues. Il y a même tout un tas d'objets planqués à retrouver pour débloquer des bonus, c'est dire si ma comparaison est parfaitement fondée.
Petite différence avec le titre-phare de Rockstar quand même,
on ne peut pas piloter les bateaux.
Il y a des jeux qui sont vachement sympa les 1ers temps, mais qui à moyen terme commencent à laisser apparaître des défauts rédhibitoires. Il y a des jeux qui à l'inverse paraissent un peu rébarbatifs au départ, mais qui finissent par se révéler attachants pour peu qu'on s'accroche quand même. Dans le cas des Dents de la Mer, on a affaire à une 3ème catégorie, les jeux qui annocent la couleur dès les 1ères minutes en affichant tout de suite leurs plus grosses qualités et leurs plus pénibles défauts. Et si au début, les premiers permettent de bien s'amuser malgré les seconds, il faut bien dire que ce sont les seconds qui finissent par l'emporter et gâcher le plaisir donné par les premiers.
La "vue requin" activable à volonté brouille légèrement la vision d'ensemble,
mais permet de localiser plus facilement les proies potentielles.
Car oui, figurez-vous que, pour un jeu à licence développé par des spécialistes du caca avec un petit budget, sorti directement en gamme pas chère et qui a fait un bide, Les Dents de la Mer a quand même des qualités. La faune marine est plutôt pas mal modélisé, les mouvements du requin sont réussis, les attaques à disposition du joueur sont assez nombreuses si l'on considère que le personnage dirigé est un animal, un poisson de surcroît. Et surtout, les gens d'Appaloosa Interactive, dont la précédente réalisation avait pourtant pour vedette le pacifique Ecco le Dauphin, n'ont pas cherché à aseptiser leur produit. Déconseillé aux moins de 18 ans, Les Dents de la Mer version jeu vidéo est en effet bien plus gore que n'importe lequel des films de la série, ne lésinant jamais sur le sang et la violence. C'en est à se demander comment le jeu a fait pour passer complètement sous le radar et ne déclencher aucun scandale à sa sortie.
Quand la friture ne lui suffit plus, le Grand Requin Blanc
n'hésite pas à dévorer ses congénères, comme ici un requin marteau.
Le requin n'épargne personne : innocentes nageuses en bikini, gentils chiens-chiens, mignons pingouins, jolis dauphins, petites otaries sans défense, toute créature vivante est consommable, et une "barre de faim" qui se vide constamment est là pour encourager le joueur à croquer dans le tas sans discernement. Même "Sauvez Willy" finit en charpie sous les yeux de son public. Et ici quand on tue, on n'y va pas de main morte : on mord, on mâche, on secoue sa victime pour la démembrer ou la décapiter... Bien sûr, j'aimerais vous dire que je suis un type raffiné, pas le genre à tirer plaisir d'une barbarie pareille, et pourtant, même moi qui n'ai pas aimé Manhunt par exemple, je dois dire que j'ai pris un plaisir certain à incarner le prédateur impitoyable, sanguinaire et carrément sadique qui sert de héros au jeu. Et vas-y que je te gobe un bébé phoque par-ci, et hop je chope une nageuse, je lui bouffe une guibole et je la regarde essayer de s'enfuir avec seulement trois membres avant de la rattraper pour lui manger le reste morceau par morceau, et la grosse grand-mère là, je vais juste la maintenir sous l'eau sans la mâcher jusqu'à ce qu'elle crève noyée, puis chlac je la couperai en deux d'un bon coup de dents juste pour admirer la modélisation de ses intestins... Ouais, je sais, c'est très con, mais c'est pas souvent qu'on peut faire ça dans un jeu vidéo, et c'est extrêmement défoulant.
Une des premières choses que vous apprend le didacticiel : comment massacrer un plongeur. Oui c'est le petit machin jaune qui dépasse de la bouche du requin, là, au milieu du nuage de sang.
Malheureusement, cette joie mauvaise ne dure qu'un temps, et les défauts du jeu l'entraînent inexorablement vers le fond... Les commandes répondent souvent de manière approximative, la caméra peut se montrer horriblement capricieuse et pénible. La partie sous-marine du jeu est correcte, mais les humains et les décors en surface sont assez grossièrement représentés. La musique du film devient gavante à force d'être jouée en boucle, de même que les bruitages essentiellement constitués des 5 ou 6 mêmes cris de terreur répétés par une seule voix masculine et une seule voix féminine ("SHARK!!", "I don't wanna die!", "I think he's dead!", "We're never gonna make it!", rien que du très très original...).
J'ai bouffé trop de touristes, celui-ci je crois que
je vais pas le terminer finalement, ce serait de la gourmandise.
Le personnage principal est surpuissant, rendant le jeu facile et souvent ridicule de par les "pouvoirs magiques" dont il dispose, qui font de lui un digne successeur du requin du risible Les Dents de la Mer : La Revanche, celui qui pouvait battre un avion à la course en nageant du Massachussetts aux Bahamas. Ici on peut même se jeter sur le sable et ramper quelques instants à la surface pour choper les vacanciers sur la plage ! Les missions secondaires sont pour la plupart idiotes et sans intérêt, et en dehors des missions de la quête principale, on passe beaucoup de temps à arpenter l'océan sans avoir grand chose d'autre à faire que de grignoter son 463ème plongeur de la journée pour tromper son ennui.
Même sur la terre ferme, personne n'échappe à Jaws le requin amphibie.
Dans un souci de pseudo-réalisme il faut quand même penser
à replonger avant la fin du compte de 10.
Et donc hélas la monotonie, ce fléau, finit par tuer assez vite un jeu pourtant assez fun au départ. Déchiqueter un baigneur, décapiter un dauphin, c'est marrant les premières fois mais c'est le genre de plaisir idiot qui ne dure qu'un temps. Je n'ai pas envie de le casser trop durement, parce que c'est un jeu insolite, qui réserve de bons moments pour peu que vous soyez un peu tordu, et qui se déniche pour vraiment pas cher de nos jours, mais je mentirais en disant que c'est un bon jeu, que je recommande chaudement. D'autant moins que, contrairement à des jeux comme Starship Troopers, Dirty Dancing ou le récent Mozart, Les Dents de la Mer n'offre même pas le DVD du film en bonus comme lot de consolation pour les fans. Bref, disons que si vous êtes vraiment intrigué par ce genre d'expérience de jeu atypique, et que 3 ou 4 € ne vous paraît pas trop cher payé pour un divertissement dont vous serez probablement complètement lassé au bout d'une heure, deux heures grand maximum, vous pouvez vous laisser tenter, c'est pas comme s'il n'y avait vraiment rien à en tirer. Mais dans l'ensemble, malgré ses quelques aspects positifs ça reste un jeu raté, donc si vous préférez rester fidèle au mot d'ordre "si c'est raté, j'achète pas, même si ça coûte que dalle", sachez que vous ne ratez quand même rien d'exceptionnel.